Des femmes pour l'Histoire
Anne de Beaujeu : la première femme d’État de France
Née en 1461, Anne de Beaujeu, aussi connue sous le nom d’Anne de France, est l’une des grandes figures politiques de la fin du Moyen Âge. Fille du roi Louis XI et sœur aînée de Charles VIII, elle exerce une influence politique majeure dans un royaume encore fragilisé par les tensions féodales et les rivalités princières. Longtemps ignorée par l’historiographie traditionnelle, Anne de Beaujeu s’impose pourtant comme la première femme à gouverner la France de manière effective, à une époque où le pouvoir politique féminin était considéré comme exceptionnel, voire suspect.
Une éducation d’État
Anne naît au cœur de la couronne capétienne, au moment où la monarchie cherche à consolider son autorité sur un royaume encore morcelé. Dès son plus jeune âge, son père Louis XI voit en elle une héritière intellectuelle. Il la forme personnellement à la politique, au droit et à la gestion du royaume. En 1473, à seulement douze ans, elle est mariée à Pierre II de Bourbon, un noble loyal à la couronne, bien que de faible ambition. Ce mariage, arrangé par le roi, lui garantit un soutien sans rival au sein de la noblesse.
Régente du royaume
À la mort de Louis XI en 1483, son fils Charles VIII n’a que treize ans. Conformément aux vœux du défunt roi, Anne est désignée comme régente officieuse du royaume. Elle gouverne aux côtés de son époux, mais c’est elle qui prend les décisions majeures, d’où son surnom contemporain de « Madame la Grande ».
Pendant la régence (1483–1491), Anne affronte de nombreuses menaces. Les grands seigneurs, menés par Louis d’Orléans (futur Louis XII), contestent son autorité dans ce qu’on appellera la « Guerre folle ». Anne fait preuve d’un sens politique redoutable : elle parvient à isoler ses adversaires, s’assure du soutien des États généraux et obtient des victoires militaires décisives, notamment à Saint-Aubin-du-Cormier en 1488.
Son habileté permet aussi un tournant majeur dans l’histoire de France : elle négocie en 1491 le mariage entre Charles VIII et Anne de Bretagne, scellant ainsi le rattachement du duché de Bretagne à la couronne — une étape essentielle de la construction de l’unité nationale.
Une femme de pouvoir dans un monde d’hommes
Contrairement à beaucoup de femmes de son époque, Anne n’est pas une reine consort ou une figure de représentation : elle exerce le pouvoir. Dans un monde politique masculin, elle impose son autorité par son intelligence, sa prudence et sa capacité à maintenir l’ordre dans un royaume instable. Elle incarne un modèle unique de femme d’État, à la fois stratège, diplomate et gestionnaire.
Anne incarne également la continuité de la politique de centralisation engagée par son père. Elle réduit le pouvoir des féodaux, renforce l’autorité de la monarchie, modernise l’administration et veille à l'équilibre des forces. Elle fait preuve d’une vision pragmatique et durable du pouvoir, préférant les alliances solides aux démonstrations de force.
Mécène, éducatrice et modèle féminin
Après la majorité de Charles VIII, Anne se retire avec son époux dans leur duché de Bourbon, à Moulins, où elle poursuit son action, cette fois sur le plan culturel et éducatif. Elle y développe un véritable foyer de la Renaissance française, attirant artistes, humanistes et architectes. Son palais devient un centre d’innovation artistique, préfigurant les grandes heures du mécénat royal sous François Ier.
Anne de Beaujeu est également l’auteure d’un traité éducatif intitulé Enseignements à ma fille, où elle transmet sa vision du rôle des femmes dans le pouvoir et la société. Dans ce texte, elle plaide pour une éducation fondée sur la vertu, la raison et la maîtrise de soi, destinée à former des femmes capables de gouverner dans l’ombre ou dans la lumière. Par ses écrits, elle contribue à l’émergence d’un modèle féminin actif et raisonné, qui influencera d’autres femmes d’influence comme Marguerite d’Angoulême ou Catherine de Médicis.
Héritage et postérité
Anne de Beaujeu meurt en 1522, à l’âge de 61 ans. Elle est inhumée auprès de son mari au prieuré de Souvigny, en Bourbonnais. Si elle n’a pas connu la célébrité des grandes reines ou des figures mythiques de l’Histoire, son action a été décisive dans la transition du Moyen Âge à la Renaissance, et dans la consolidation de l’État monarchique français.
Son héritage est aujourd’hui mieux reconnu. De nombreuses historiennes la considèrent comme la première femme d’État moderne. Son habileté politique, son intelligence stratégique et son autorité naturelle en font une figure incontournable de l’histoire politique française. Le musée Anne-de-Beaujeu à Moulins lui rend hommage, et son nom commence à apparaître dans les manuels scolaires et les travaux universitaires sur les femmes de pouvoir.
Olympe de Gouges
Olympe de Gouges : Une figure de la Révolution française et du féminisme
Marie Gouze, mieux connue sous le nom d'Olympe de Gouges, naît le 7 mai 1748 à Montauban, dans une famille de la petite bourgeoisie. Elle grandit dans un contexte de hiérarchie sociale stricte, mais son caractère indépendant et son esprit critique vont rapidement la distinguer de ses contemporains. Fille d’un maître boucher et d’une femme issue de la petite noblesse, Olympe de Gouges n’est pas destinée à une grande carrière, mais elle va néanmoins s’imposer comme une figure incontournable de la Révolution française, notamment grâce à ses prises de position féministes et sa défense des droits de l'homme.
De Montauban à Paris : les débuts d'une femme engagée
Olympe de Gouges fait ses premiers pas à Paris dans les années 1760. Bien que son éducation formelle ait été limitée, elle développe une passion pour l’écriture et se lie à de nombreux intellectuels et artistes du XVIIIe siècle. À 17 ans, elle épouse un homme d'affaires, Louis-Yves de Gouges, avec qui elle n’aura pas d'enfants. Mais le mariage ne dure pas, et Olympe de Gouges préfère se consacrer à sa carrière littéraire.
Dans la capitale, Olympe de Gouges s'impose rapidement comme une figure féminine singulière. Elle commence à fréquenter les salons littéraires et à écrire des pièces de théâtre, lesquelles rencontrent un certain succès. Ses œuvres, souvent portées par une forte sensibilité sociale et politique, lui permettent de se faire un nom dans la scène littéraire. C’est dans ce cadre qu’elle adopte le nom d'Olympe de Gouges, un pseudonyme qu’elle gardera tout au long de sa vie.
L’Œuvre de la Révolution : un engagement au service des droits de l’homme
Avec le déclenchement de la Révolution française en 1789, Olympe de Gouges se fait de plus en plus entendre. Si elle soutient les idéaux de liberté et d'égalité, elle se distingue surtout par ses positions résolument féministes et par ses prises de position contre les injustices sociales. Son œuvre la plus célèbre, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791), constitue un manifeste audacieux qui réclame l’égalité des droits entre hommes et femmes. Ce texte, directement inspiré de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, pose une question fondamentale : pourquoi les femmes, malgré leur statut de citoyennes, ne bénéficieraient-elles pas des mêmes droits que les hommes ?
Dans sa Déclaration, Olympe de Gouges réclame la reconnaissance des femmes en tant qu’êtres libres, égales avec les hommes devant la loi, et habilitées à exercer tous les droits civiques et politiques. Elle demande à ce que les femmes puissent, à l'instar des hommes, accéder à la propriété, au divorce, à l'éducation, et à la participation politique. Ce manifeste, bien qu'ignoré par les révolutionnaires et largement critiqué à l’époque, demeure l'un des premiers textes fondateurs du féminisme moderne.
Une vie de résistances
L'impact d’Olympe de Gouges va au-delà de son engagement féministe. En effet, elle soutient plusieurs causes sociales, notamment la liberté d'expression et la fin des discriminations. Elle prend position contre l’esclavage, rédigeant en 1788 une pièce de théâtre intitulée "L’Esclavage des nègres", où elle dénonce les horreurs du trafic d’esclaves et de l’exploitation coloniale. Par ce biais, elle introduit un discours abolitionniste novateur pour l’époque.
Olympe de Gouges milite également en faveur des droits des démunis et des victimes de la guerre. En 1793, dans un contexte de guerre civile et de terreur révolutionnaire, elle écrit plusieurs pamphlets où elle critique la répression menée par les Montagnards, tout en dénonçant le climat de violence. Ses positions politiques lui attirent de nombreux adversaires. Elle se fait rapidement l’ennemie des factions les plus radicales, et son engagement sans compromis finit par la conduire à l’échafaud.
L’arrestation et la fin tragique d’Olympe de Gouges
Les années 1790 sont marquées par une radicalisation du mouvement révolutionnaire. Olympe de Gouges, bien que fervente républicaine, se heurte à l'intransigeance des Jacobins. Son opposition à la violence des « purges » révolutionnaires, en particulier sous l'égide de Maximilien Robespierre, ainsi que son soutien aux Girondins modérés, la place en porte-à-faux avec les autorités en place.
Le 2 juillet 1793, Olympe de Gouges est arrêtée pour ses prises de position politiques et sa critique des violences de la Terreur. Accusée de trahison, elle est condamnée à mort. Le 3 novembre 1793, elle est guillotinée sur la Place de la Révolution, à l'âge de 45 ans. Sa mort tragique symbolise la répression sans pitié exercée contre ceux qui, tout en soutenant la révolution, s'opposaient à ses excès.
Un héritage toujours vivant
Le nom d’Olympe de Gouges, bien que méconnu du grand public pendant une grande partie du XIXe siècle, a pris une dimension historique majeure à partir du XXe siècle, notamment avec l’émergence des mouvements féministes. L'importance de son œuvre réside dans le fait qu’elle ait, dès les premières années de la Révolution française, posé les bases d’une réflexion moderne sur l'égalité des genres. En revendiquant une reconnaissance pleine et entière des droits des femmes, elle a fait figure de pionnière.
Aujourd'hui, Olympe de Gouges est considérée comme une icône du féminisme et une des premières grandes militantes des droits des femmes dans l’histoire moderne. Sa Déclaration des droits de la femme reste l’un des textes fondateurs du mouvement féministe et continue d’inspirer les combats pour l’égalité. De nombreuses rues, places, collèges et lycées portent son nom en France, et des statues à son effigie sont érigées dans plusieurs villes.
Olympe de Gouges a également été réhabilitée comme une figure de la lutte pour les droits humains, un modèle de courage intellectuel et de résistance politique. Sa révolte contre l'injustice, sa soif d’égalité, et sa défense de la liberté d’expression continuent d’influencer la pensée politique contemporaine.
Hubertine Auclert
Hubertine Auclert : La première suffragette française
Née le 10 avril 1848 à Saint-Priest-en-Murat, dans l’Allier, Hubertine Auclert voit le jour quelques semaines après la proclamation de la Deuxième République. Ce symbole de naissance est annonciateur d’une vie tournée vers le combat républicain et l’égalité des droits. Fille de notables ruraux, elle grandit dans une famille catholique et patriarcale, mais son père, républicain convaincu, lui transmet très tôt le goût de la justice et de l’émancipation. À sa mort, Hubertine hérite d’une petite fortune qui lui offre une liberté rare pour une femme de son époque : celle de choisir sa voie.
Naissance d’une militante
Installée à Paris dans les années 1870, au cœur de l’effervescence républicaine, elle rejoint l’Association pour le droit des femmes, aux côtés de figures comme Maria Deraismes ou Léon Richer. Rapidement, elle s’en éloigne : à ses yeux, leurs positions sont trop modérées. Contrairement à ses aînés, Hubertine défend une idée nouvelle pour l’époque : le suffrage féminin, qu’elle considère comme une condition indispensable à l’émancipation. En 1876, elle fonde Le Droit des Femmes, un groupe revendiquant explicitement le droit de vote et d’éligibilité pour les femmes.
En rupture avec la stratégie d’attentisme de certains féministes de son temps, elle choisit la confrontation directe, parfois spectaculaire, pour faire entendre ses idées.
Une presse au service des droits
C’est dans cette logique qu’elle lance, en 1881, La Citoyenne, un journal bimensuel entièrement dédié aux droits civiques des femmes. Par cet organe de presse, elle entend mener un combat permanent contre les inégalités légales, sociales et politiques. Elle y défend la séparation des biens dans le mariage, le droit au divorce, la réforme du Code civil napoléonien, mais aussi des idées plus novatrices comme la féminisation de la langue – une idée qui reste, encore aujourd’hui, au cœur des débats.
En parallèle, elle mène des actions symboliques fortes : refus de payer l’impôt, tentatives d’inscription sur les listes électorales, manifestations dans les mariages civils pour dénoncer la soumission imposée aux femmes par la loi. Ces gestes, provocateurs pour l’époque, font d’elle la première suffragette française, bien avant que ce terme ne soit popularisé par les mouvements britanniques.
Un regard féministe sur la colonisation
En 1888, elle épouse un magistrat et part vivre en Algérie, alors colonie française. Cette expérience est un tournant : confrontée à la condition des femmes musulmanes, elle élargit son combat à l’échelle internationale et publie, à son retour, Les Femmes arabes en Algérie. L’ouvrage dénonce à la fois la domination coloniale et le patriarcat indigène, tout en révélant les contradictions d’un système qui prétend civiliser tout en asservissant. Elle y développe une pensée féministe lucide sur la situation coloniale, même si elle conserve une vision marquée par l’idéologie républicaine de son temps.
Une militante infatigable
De retour en métropole dans les années 1890, elle poursuit sa lutte avec la même détermination. Elle continue d’écrire, de manifester, et tente même de se présenter aux élections législatives de 1910 – une candidature évidemment refusée, mais hautement symbolique. En 1907, une de ses victoires les plus concrètes est obtenue : les femmes mariées ont enfin le droit de percevoir leur salaire sans l’autorisation de leur mari. L’année suivante, elle renverse une urne électorale pour protester contre l’exclusion des femmes du suffrage : un acte fort, relayé dans la presse, et précurseur des luttes à venir.
Un héritage revendicatif
Hubertine Auclert meurt en avril 1914, quelques mois avant le déclenchement de la Grande Guerre, et bien avant l’obtention du droit de vote pour les femmes, qui n’arrivera en France qu’en 1944. Pourtant, son influence est immense. Elle a été la première en France à poser la question du vote féminin comme une urgence démocratique, liant l’égalité civique à la justice sociale. Elle a également renouvelé la pensée féministe en la sortant de l’espace privé pour l’ancrer dans la sphère politique.
Son héritage est aujourd’hui reconnu : le centre Hubertine Auclert, créé en Île-de-France, porte son nom, et plusieurs écoles et rues lui rendent hommage. Son combat, pionnier, a ouvert la voie à plusieurs générations de militantes qui, comme elle, ont refusé d’attendre.
Simone Veil
Simone Veil : Une vie de combat pour la mémoire, les droits des femmes et l’Europe
Simone Veil, née Simone Jacob le 13 juillet 1927 à Nice, grandit dans une famille juive laïque et républicaine. Son père, architecte, et sa mère, attentive à l’éducation de ses enfants, lui transmettent le goût du savoir et du débat. En 1944, alors que Simone n’a que 16 ans, elle est arrêtée par la Gestapo avec sa famille. Déportée à Auschwitz-Birkenau, puis à Bergen-Belsen, elle est l’une des rares à revenir des camps. Cette expérience tragique marquera profondément sa vie et son engagement.
À son retour, elle reprend ses études, passe son baccalauréat, puis entre à l’Institut d’études politiques de Paris. En 1946, elle épouse Antoine Veil, haut fonctionnaire, avec qui elle aura trois enfants. Marquée à jamais par la barbarie nazie, Simone Veil développe une conscience aiguë des droits humains et de la nécessité de les défendre, quelles que soient les circonstances.
De la magistrature à la politique : les débuts d’un engagement républicain
Diplômée de Sciences Po, Simone Veil choisit la magistrature. En 1956, elle intègre l’administration pénitentiaire, puis rejoint la direction des affaires civiles au ministère de la Justice. Elle y œuvre notamment pour l’amélioration des conditions de détention, une cause alors peu populaire. Elle défend avec détermination les principes de dignité et de réinsertion.
Dans les années 1970, elle entre en politique, soutenue par le président Valéry Giscard d’Estaing. Elle devient, en 1974, la première femme ministre d’État à la Santé sous la Cinquième République. Cette nomination ouvre une nouvelle phase de son engagement, centrée sur les droits sociaux, la condition féminine et l’accès à la santé.
Une ministre face à l’Histoire : la loi sur l’IVG
C’est à ce poste que Simone Veil entre dans l’Histoire. En novembre 1974, elle présente devant l’Assemblée nationale un projet de loi légalisant l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Ce texte, connu sous le nom de « loi Veil », vise à dépénaliser l’avortement, jusque-là interdit et pratiqué clandestinement, au péril de la santé des femmes.
Le débat parlementaire est d’une rare violence. Simone Veil, cible d’attaques personnelles et d’insultes misogynes, fait preuve d’un calme et d’un courage exemplaires. Dans un discours devenu historique, elle affirme : « Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. » La loi est adoptée le 17 janvier 1975. Par cet acte politique majeur, Simone Veil consacre un droit fondamental à disposer de son corps et change durablement la condition féminine en France.
Une Européenne convaincue : au cœur de la construction européenne
Femme de conviction et de dialogue, Simone Veil ne limite pas son action à la scène française. En 1979, elle devient la première présidente du Parlement européen élue au suffrage universel. Elle défend ardemment l’unité du continent, convaincue que seule une Europe forte et solidaire peut garantir la paix.
Durant son mandat, elle promeut les droits humains, l’harmonisation sociale et la mémoire des crimes du XXe siècle. Son engagement européen s’inscrit dans une vision humaniste et résolument tournée vers l’avenir, dans le droit fil de son histoire personnelle.
Après cette période européenne, elle revient brièvement au gouvernement en 1993 en tant que ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville, avant d’être élue à l’Académie française en 2008. Elle y occupe le fauteuil de Pierre Messmer, devenant la sixième femme à rejoindre cette institution prestigieuse.
Mémoire, transmission et justice : une voix singulière
Simone Veil n’a jamais cessé de témoigner de la Shoah. Sans haine ni esprit de revanche, elle a œuvré pour que l’oubli ne recouvre pas les atrocités du passé. Membre du Conseil constitutionnel de 1998 à 2007, elle incarne une autorité morale, écoutée dans les débats éthiques, mémoriels ou sociaux.
Elle publie en 2007 son autobiographie, Une vie, dans laquelle elle retrace son parcours avec sobriété et humanisme. Ce livre rencontre un immense succès populaire, confirmant son statut de figure respectée et admirée.
Dans ses dernières années, elle continue de défendre les valeurs de laïcité, de tolérance, et d’égalité. Simone Veil reste l’une des très rares personnalités politiques à avoir su conjuguer une rigueur intellectuelle, une humanité profonde et une autorité naturelle, sans jamais céder aux modes ou aux populismes.
Une disparition nationale, un héritage universel
Simone Veil s’éteint le 30 juin 2017, à l’âge de 89 ans. Sa mort suscite une émotion intense. Dès l’annonce de son décès, les hommages affluent de tous bords. Sa vie, marquée par le courage, l’éthique et le service de l’intérêt général, en fait une figure tutélaire de la République.
Le 1er juillet 2018, Simone Veil entre au Panthéon aux côtés de son époux Antoine. Elle devient la cinquième femme à y reposer, aux côtés de Marie Curie. Cette panthéonisation acte définitivement son rôle dans l’histoire contemporaine de la France.
Un modèle d’humanité et d’engagement
Aujourd’hui, Simone Veil est célébrée comme l’une des grandes voix du XXe siècle. Elle incarne la lutte pour les droits des femmes, la dignité humaine, et la réconciliation européenne. Sa mémoire continue de résonner dans les débats sur la liberté, l’égalité et la justice.
Des écoles, des hôpitaux, des institutions portent désormais son nom. Son visage figure sur la monnaie, ses discours sont enseignés, et ses engagements restent des repères pour les générations futures. Femme de raison et de cœur, survivante et bâtisseuse, Simone Veil laisse un héritage immense : celui d’une société plus juste, plus humaine et plus libre.
Gisèle Halimi
Gisèle Halimi : Une vie au service du droit, des femmes et de la justice
Gisèle Halimi, née Zeiza Gisèle Élise Taïeb, voit le jour le 27 juillet 1927 à La Goulette, un port proche de Tunis, dans une famille juive modeste d’origine berbère. Élevée dans un contexte patriarcal traditionnel, elle découvre très tôt les inégalités entre les sexes. L’éducation stricte et les attentes imposées aux filles dans son milieu familial la révoltent. Dès l’âge de 10 ans, elle entame une grève de la faim pour ne plus devoir servir ses frères, ou faire leur lit. Ce refus des rôles assignés à son genre marquera toute sa vie.
Brillante élève, elle obtient son baccalauréat en 1944, puis poursuit des études de droit et de philosophie à Paris. Son installation en métropole marque le début d’un parcours d’exception. À la fois avocate, militante et intellectuelle engagée, Gisèle Halimi se fixe un objectif clair : mettre le droit au service des opprimés, des femmes, et de toutes celles et ceux que la société marginalise.
Une avocate engagée : justice et luttes anticoloniales
Gisèle Halimi prête serment en 1949 et débute sa carrière au barreau de Tunis, avant de s’installer définitivement à Paris. Très vite, elle se fait connaître pour sa défense des causes politiquement sensibles et moralement courageuses. Son engagement pour l’indépendance des peuples colonisés prend toute son ampleur lors de la guerre d’Algérie.
L’affaire Boupacha, en 1960, fait scandale : la jeune femme a été torturée et violée par des soldats français. Gisèle Halimi, en collaboration avec Simone de Beauvoir, fait éclater l’affaire dans l’opinion publique française. Elle en tire un livre qui porte le nom de sa cliente, véritable plaidoyer contre la torture et les exactions coloniales. Son combat dans ce dossier incarne sa volonté de faire du droit un outil de dénonciation de la violence d'État durant la guerre d’Algérie.
Un féminisme d’action : Simone de Beauvoir et le procès de Bobigny
Dans les années 1970, Gisèle Halimi devient l'une des figures majeures du féminisme français. En 1971, elle est l'une des signataires du "Manifeste des 343", publié dans le Nouvel Observateur, où des femmes — dont elle-même — déclarent avoir avorté, alors que l’avortement est encore illégal en France. Cette prise de parole marque le début d’une nouvelle bataille, celle pour la liberté de disposer de son corps.
En 1972, elle défend Marie-Claire Chevalier, une adolescente de 16 ans poursuivie pour avoir avorté après un viol. Le procès de Bobigny devient un tournant historique. En plaidant avec force, Gisèle Halimi transforme le tribunal en une tribune politique : elle dénonce non seulement l’injustice de la loi, mais aussi l’hypocrisie d’une société qui condamne les femmes pauvres tandis que les riches avortent discrètement à l’étranger. Son plaidoyer contribue à faire évoluer l’opinion publique, ouvrant la voie à la loi Veil de 1975 qui légalise l’IVG en France.
Choisir la cause des femmes : la création de "Choisir"
Dans la foulée de ses combats judiciaires, Gisèle Halimi fonde en 1971, avec Simone de Beauvoir, l'association "Choisir la cause des femmes". L’objectif est clair : garantir la défense juridique des femmes poursuivies pour avortement, mais aussi militer plus largement pour les droits des femmes dans tous les domaines. L'association se structure comme un véritable réseau de soutien et de pression politique.
Au fil des décennies, "Choisir" s’engage pour la parité en politique, l’égalité salariale, la reconnaissance du viol comme crime, ou encore la lutte contre les violences conjugales. Gisèle Halimi y apporte sa rigueur juridique et sa vision stratégique. Elle ne cesse de rappeler que sans pression populaire, aucune avancée législative réelle ne peut être obtenue.
Une voix dans la République : députée, diplomate et intellectuelle
Au-delà de ses activités judiciaires et militantes, Gisèle Halimi s’engage également dans la sphère politique. En 1981, elle est élue députée à l’Assemblée nationale, dans les rangs socialistes, et participe à diverses missions sur les droits de l’homme, notamment à l’UNESCO et à l’ONU. Elle s’efforce toujours d’apporter la voix des femmes, des opprimés, et des laissés-pour-compte au sein des institutions.
Son engagement intellectuel se traduit aussi par l’écriture. Elle publie de nombreux ouvrages, à la fois autobiographiques et politiques : La Cause des femmes (1973), Le Lait de l’oranger (1988), Fritna (1999), ou encore Une farouche liberté (2020, coécrit avec la journaliste Annick Cojean), qui revient sur sa vie de luttes et son rapport intime à la liberté.
Une fin de vie digne de ses combats
Jusqu’à ses derniers jours, Gisèle Halimi n’a jamais cessé de s’indigner. Elle s’exprime régulièrement sur les questions d’égalité, de justice et de laïcité. Dans un entretien donné peu avant sa mort, elle déclare : « Je n’ai jamais supporté l’injustice. Toute ma vie, j’ai voulu la combattre, avec les armes que j’avais : le droit, la parole, le courage. »
Elle s’éteint le 28 juillet 2020 à Paris, au lendemain de son 93e anniversaire. Sa disparition provoque une onde d’émotion en France. Des voix s’élèvent pour réclamer son entrée au Panthéon, en hommage à son combat pour les droits humains et pour l’émancipation des femmes.
Un héritage vivant et inspirant
Aujourd’hui, Gisèle Halimi est unanimement reconnue comme une grande figure du féminisme et du droit au XXe siècle. Son héritage est immense : des réformes juridiques fondamentales aux changements culturels profonds dans la manière dont la société considère les droits des femmes. Elle a su faire de la justice un levier de transformation sociale, et ses actions continuent d’inspirer les nouvelles générations de militantes, juristes et citoyennes.
Son nom figure désormais sur des établissements scolaires, des rues et des places publiques. Des projets visant à honorer sa mémoire — comme l’entrée au Panthéon ou des expositions commémoratives — témoignent de sa place dans l’histoire française. Gisèle Halimi a incarné un idéal de courage, de persévérance et de lucidité politique. Elle a su, par la force de ses convictions, faire progresser les libertés et demeure, plus que jamais, un symbole de lutte, de justice, et d’espérance.